Depuis huit mois que nous parcourons le monde, nous avons traversé de nombreux pays. Partout, nous nous sommes renseignés sur l’histoire de la région et de la nation qui nous accueillait. Une histoire plus ou moins récente, plus ou moins tourmentée, plus ou moins glorieuse. Nous avons visité quelques musées, assez peu je dois dire, car ce n’est pas notre tasse de thé. Mais cela nous a suffit à apprendre, découvrir ou approfondir des pans entiers de l’Histoire. Et comme nous l’expliquions dans l’article « Regards sur l’Asie », nous avons pris conscience à quel point notre monde d’aujourd’hui résulte d’interactions entre ses peuples, d’une Histoire commune et d’une géopolitique complexe à l’échelle régionale et mondiale.
A travers ces visites et ces lectures, doublées de notre culture générale, nous avons eu notre lot de guerres sanglantes et non-justifiées, en particulier la guerre du Vietnam ; d’épisodes de colonisation menée par la force et dans la violence, que se soit en Amérique Latine bien sûr, mais aussi en Australie et Nouvelle-Calédonie ; de dictatures d’extrême gauche et droite, fascistes ou communistes, du Chili à l’Argentine et de la Birmanie au Cambodge ; et de génocides tels que ceux perpétrés au Rwanda, au Cambodge ou en Turquie envers les arméniens. A chaque fois un même message ressort : « plus jamais ça ». On nous parle de « devoir de mémoire », « d’apprendre de nos erreurs du passé ». Et pourtant…
En voyageant, nous avons constaté avec désillusion, que derrière ces beaux discours, qui n’en demeurent pas moins justes et auxquels nous adhérons, la réalité est toute autre. La vérité est qu’en ce moment même, nous assistons à des cas en tout point similaires à ceux que nous condamnons dans le passé. Et si certains de ces cas n’ont pas encore atteint la monstruosité des faits antérieurs, notre conscience est largement en mesure de détecter les signes avant-coureurs. Nous voulons parler entre autres du génocide de la minorité musulmane Rohingyas en Birmanie (dont nous parlions déjà dans cet article), du massacre des chrétiens d’Orient notamment en Irak et Syrie, et des persécutions par des groupes extrémistes en Afrique noire. Aujourd’hui nous visitons le mémorial du souvenir de guerre à Ho Chi Minh Ville, la prison S21 à Phnom Penh, les musées sur la sanglante colonisation espagnole au Chili et au Pérou. Mais dans trente ans, que visiterons-nous ? Le mémorial du génocide birman à l’instar de celui de la Shoah, à côté des temples de Bagan ? Les camps d’exterminations des chrétiens à Bagdad ou Damas comme l’on visite Auschwitz aujourd’hui ? Ou les fosses communes des jeunes étudiants de Bamako ou Tombouctou au Mali ? Et nous nous dirons d’un air à la fois funèbre et accablé « quelle horreur, comment en est-on arrivé là ? ».
Face à cet aveuglement général, nous pensons discerner deux causes majeures : le manque total d’implication de nos politiciens et le système médiatique actuel.
Dans notre société française du XXIème siècle, sous tension sur bien des sujets et en particulier sur celui de la religion, nos dirigeants n’osent plus s’engager, ni même reconnaître appartenir à un groupe social ou religieux, de peur de perdre une partie de leur électorat si précieux. Le prochain mandat vaut bien plus à leurs yeux que quelques morts à plusieurs centaines de kilomètres. Pourquoi se risquer à s’engager personnellement à sauver des musulmans en Birmanie alors que d’autres nous attaquent au coeur même de Paris ? A l’heure actuelle on nous parle d’amalgame, de stigmatisation, mais c’est surtout la peur qui les envahi. Peur de perdre le soutien de quarante millions de chrétiens français en s’engageant à défendre les musulmans d’autres pays, peur de se mettre à dos les quatre millions de musulmans de France en défendant la cause chrétienne sur le territoire et à l’étranger. Peur de s’affirmer d’une religion et en défendre une autre. Alors que comme nous l’a rappelé récemment Eric-Emmanuel Schmitt dans un poste sur Facebook, le laïcisme n’est pas l’athéisme mais « le garant de la liberté intérieure et de la possibilité de pratiquer toutes les religions ». Il est temps pour chacun de prendre position. Nous entrons dans une ère où nos origines, notre histoire, notre passé, tout ce qui fait ce que nous sommes aujourd’hui et le pays dans lequel nous vivons, doivent être acceptés, assumés et portés fièrement. Cela ne signifie pas qu’il faut se dresser les uns contre les autres, mais au contraire, s’affirmer pour mieux s’unir les uns aux autres dans un respect mutuel et un enrichissement réciproque, contre tous les actes de barbarie, de persécution et de fanatisme de ce monde.
D’autre part, les médias ont une grande part de responsabilité dans cette aveuglement collectif. A chaque événement le procédé est le même. Ils s’emparent d’un sujet et s’y consacrent abusivement pendant quelques jours, nous abreuvant d’informations répétitives et superficielles jusqu’à saturation de l’audimat, dans le but unique d’engendrer plus de ventes et d’argent. Une fois le sujet épuisé (c’est à dire quand les ventes baissent) ils passent à un autre sujet en réitérant la méthode. Je n’apprends rien à personne en décryptant cette recette. Au final, peu leur importe combien de morts dans tel attentat ou catastrophe naturelle. Ce qui compte c’est couvrir l’événement. Et la formule marche particulièrement bien avec les scandales politiques, économiques et sociaux : DSK, Snowden, NSA, et en ce moment la FIFA. Tous ces sujets ont fait les gros titres pendant des jours. Mais qui parle encore aujourd’hui des millions de Népalais dans la misère ? Seulement un mois après le séisme, le sujet a disparu des média. Evidemment, après s’être apitoyé sur le sort des pauvres petits népalais, on a la conscience tranquille, on a « fait le job ». Mais qui veut savoir que depuis rien n’a changé, que les vivants pleurent toujours les morts alors qu’ils dorment entre les ruines ? Que c’est après le choc que tout reste à faire. Et qu’avec leur salaire de misère il leur faudra plus de 10 ans pour retrouver leur niveau de développement d’avant le séisme, sans compter les pertes culturelles irrécupérables. Mais c’est tellement plus passionnant de savoir que des Blazer et Blatter ont reçu des millions d’euros sous forme de pots de vin, argent généré par la vente des droits télé, parce qu’il y a des milliards de téléspectateurs qui ne rateraient pas un match dans lequel le sport est absent depuis bien trop longtemps.
Les médias nous inondent d’informations futiles et furtives au point d’inhiber notre capacité de réflexion tout en laissant totalement de côté les sujets qui demanderaient un suivi à long terme, un examen plus poussé, voire un vrai débat. Nous vivons dans un monde de sur-information à travers nos smartphones qui nous envoient des alertes quotidiennement, les chaines d’information continue 24h/24 et les réseaux sociaux. Ces moyens de communication moderne déversent un tel flot d’informations qu’ils ne nous laissent plus la possibilité d’assimiler, de digérer l’information et de finalement penser. Nous avons compris que l’information est importante, voire primordiale, mais qu’elle n’est que l’amorce qui doit conduire à l’action. Et c’est justement la passivité générale que nous déplorons aujourd’hui.
Comment agir à notre échelle ? Quelle action mener ? Nous n’avons malheureusement pas de solution toute faite, de mode d’emploi à fournir. Mais rien que la prise de conscience est déjà un pas en avant. Nous ne demandons pas de prendre les armes pour sauver les sites archéologiques de Syrie, ou prendre son billet d’avion pour aller aider la reconstruction au Népal (bien que ce soit peut-être une bonne idée). Il revient à chacun de faire ce travail sur soi de prise de recul, et d’aller un peu plus loin que la simple exclamation à la vue de l’alerte Le Monde ou autre : « Oh mon Dieu » ou « Quelle horreur », ou encore « Mais dans quel monde vit-on ? ». Dans celui que nous construisons ! Nous même nous posons la question chaque jour sur notre pouvoir d’agir à notre si petite échelle ; et ne perdons pas espoir que cela débouche sur des prises de position futures et des actions concrètes. Et vous, que ferez-vous ?
3 Comments
Tellement d’accord ! Moi aussi j’ai souvent l’impression qu’on laisse faire par peur de prendre position… et les fanatiques/extrémistes de tout bord continuent d’agir en toute impunité pendant que nous on se cache derrière nos nuances, notre politiquement correct, et nos “attention à ne pas faire d’amalgame”.
Attention, grosse référence culturelle à l’appui 😉
https://www.youtube.com/watch?v=Np3mtvVqFUw
Tu m’as tué avec ta référence culturelle !! XD Patriiiick !
Merci pour ton commentaire Axel 🙂
Ouahhh !Bravo et merci Tim pour ces reflexions et analyses tellement vraies et clairvoyantes ! Tu trouves les mots justes pour nous interpeller ! En effet que pouvons nous faire ? Ne sommes nous pas malheureusement dans un tourbillon que nous ne maitrisons pas ? Réfléchissons ensemble ! Cela ne viendra pas des politiques qui ne sont que des hommes et qui ont la faiblesse des hommes ! Alors qui ? comment faire pour agir ! ?